La division pavillonnaire : une nouvelle forme de mal-logement
Constatée dans les zones tendues, la division de logements pavillonnaire émerge au sein du bâti existant, restructurant l’offre et augmentant le nombre de logements, sans en garantir toujours la qualité. Se développant hors tout cadre légal spécifique, ces transformations impactent les politiques publiques et la gestion du domaine public par les collectivités. Trois articles de la loi Alur en lien avec la lutte contre l’habitat indigne, projettent une lumière crue sur ce phénomène.
Processus discret
Si l’opération de division pavillonnaire est, en principe, soumise au respect des règles du Plan local d’urbanisme (PLU), notamment en matière de places de stationnement, et si elle nécessite une autorisation d’urbanisme en cas de modification de l’aspect extérieur de l’immeuble ou de création de surface supplémentaire, elle échappe cependant à toute réglementation spécifique en tant que telle. Les autorités locales se trouvent donc dans la quasi impossibilité d’identifier et de repérer des logements divisés en amont de leur création. Un défaut d’encadrement qui peut entraîner des conséquences contre-productives en matière de qualité du logement produit, voire mener à la production de logements indignes.
C’est d’ailleurs à ce seul égard que la division de logement est réglementée et punie pénalement en cas d’abus d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans et d’une amende maximale de 75 000 €. L’article L.111-6-1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) l’interdit lorsqu’elle :
- Crée des logements sans équipement ou avec des équipements insuffisants (absence d’installation d’alimentation en eau potable, ou d’évacuation des eaux usées ou d’accès à la fourniture de courant) ;
- Porte sur un immeuble frappé d’un arrêté de police (insalubrité, péril, interdiction d’habiter) ;
- Crée des logements qui n’ont pas fait l’objet des diagnostics réglementaires (diagnostic amiante, constat des risques d’exposition au plomb, etc.) ;
- Crée des logements de surface inférieure à 14 m² et de volume habitable inférieur à 33 m3.
Outre qu’elle précise le mode de calcul de ces seuils, plus contraignants que ceux instaurés par le décret de 2002 relatif à la décence des logements (respectivement 9 m² et 20 m3 au minimum), la loi pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) s’intéresse à ce phénomène « qui peut rendre inopérants les mécanismes de protection des occupants et les obligations des propriétaires », analyse Sylvain Guerrini, directeur d’études au Cerema Nord-Picardie.
Le texte comporte trois articles relatifs à la division de logement, en vue de prévenir la production de logements dégradés et de renforcer les outils juridiques des collectivités territoriales pour contrer un phénomène qui n’est pas sans effet sur leurs dépenses.
Colocation dans le collimateur
L’article 1er de la loi Alur modifie la loi du 6 juillet 1989 relative aux rapports locatifs, en assimilant la colocation à une division du logement. A ce titre, la colocation est désormais soumise aux dispositions du CCH relatives notamment aux minima de surface et de volume, ainsi qu’au régime d’autorisation préalable dans les secteurs d’habitat dégradé, lorsque l’autorité compétence l’a instaurée.
L’Etat également inquiet
En Île-de-France notamment, les collectivités de Bois-Colombes (92), Plaine Commune (93) Mantes-en-Yvelines (78) et Terres de France (93) ont déjà témoigné publiquement de leurs préoccupations vis à vis du développement des divisions pavillonnaires. La fondation Abbé Pierre s’en était également émue dans un rapport publié fin 2016 sur le mal-logement francilien : « La division de logements est suffisamment importante et difficilement contrôlable pour présumer de l’émergence de logements indignes », indiquait la fondation.
Même aux plus hauts sommets de l’Etat, l’inquiétude est de mise. La ministre du logement Emmanuelle Cosse a lancé le 1er janvier 2017 dernier une société publique avec l’Établissement public foncier d’Île-de-France et Action Logement pour « contrôler la division pavillonnaire et endiguer ce fléau ». Le contexte est, il faut dire, très alarmant : selon la fondation Abbé Pierre, il y aurait 14,6 millions de personnes victimes de la crise du logement en France, dont les mal-logés et les non-logés qui représentent près de 4 millions d’individus. Les pouvoirs publics portent donc la plus grande attention à ces nouvelles poches de pauvreté qui s’enracinent depuis peu dans certains territoires.
Exploitation des ménages précaires
Ils doivent trouver des solutions pour lutter contre les évolutions négatives de la crise économique et de l’inflation sur les marchés immobiliers. Certes très diffus, les phénomènes de divisions pavillonnaires se situent en effet principalement dans les territoires où il y a une forte demande de logements de ménages précaires, où les prix de l’immobilier sont très bas, et où le parc social est sous tension. Bref, le terrain de prédilection du marchand de sommeil qui achète un logement pas cher et le loue à plusieurs locataires pour en augmenter la rentabilité locative… sans se préoccuper de la sur-occupation ou de l’insalubrité du lieu d’habitation.
Dans la communauté d’agglomération de Terres de France qui regroupe Sevran, Tremblay-en-France et Villepinte (93), par exemple, « il est ressorti que certains biens situés dans les quartiers pavillonnaires sont loués par des marchands de sommeil et présentent des signes de dégradation », relatait la fondation Abbé Pierre. Toutefois, à en croire Anne-Katrin Le Doeuff, les logements divisés sont en majorité loués « par des petits propriétaires modestes qui tentent de subvenir à leurs besoins, et bricolent une partie de leur logement pour y accueillir un locataire ».
Un risque juridique pour les propriétaires
Problème, ces propriétaires « innocents » ont souvent une réelle méconnaissance de la législation et créent, sans le vouloir, des conditions de logements indignes pour leurs locataires. Ils aménagent par exemple des garages, des cabanes en fond de jardin ou des caves pour les louer à des fins d’habitation, sans que ces locaux ne remplissent les bonnes conditions d’hygiène, de luminosité ou de surface minimum. Par ailleurs, « la division pavillonnaire est soumise aux règles du Plan local d’urbanisme, notamment en matière de places de stationnement et d’obligation d’une autorisation d’urbanisme en cas de modification de l’aspect extérieur de l’immeuble ou de la création de surfaces complémentaires », rappelait la fondation Abbé Pierre.
Bref, les propriétaires qui louent des logements divisés peuvent facilement se faire réprimander par les communes qui souhaitent éradiquer le mal-logement. Et si le plus souvent, les remontrances des élus s’avèrent dissuasives, en revanche quand il s’agit de marchands de sommeil, le phénomène est beaucoup plus difficile à endiguer. Les sanctions juridiques excèdent en effet rarement un an de loyer, constate Anne-Katrin Le Doeuff. Un combat de longue haleine, donc, pour les collectivités locales qui souhaitent pérenniser la mixité sociale sur leur territoire.